Raimbaut d’Orange

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Né entre 1140 et 1145 et décédé le 10 mai 1173 à Courthezon, en Provence, Raimbaut ?seingner d?Aurenga e de Corteson e de gran ren d?autrez castels?[1], semble avoir exercé son activité poétique entre 1160 et 1173[2]. Ce qui le place donc, chronologiquement, immédiatement après la ?première génération de troubadours, au début de ce qu?on pourrait appeler, avec Joseph Anglade, l??âge classique de la lyrique occitane?[3], c.-à-d. au moment où, après Guillaume IX d?Aquitaine, Cercamon, Jaufre Rudel et Marcabru ? l?influence de ce dernier est d?ailleurs manifeste chez Raimbaut[4] – la lyrique occitane était arrivée à un point de maturité et où la nécessité d?un renouvellement, ou plutôt d?un approfondissement de l?acquis, commençait à se faire sentir. C?est le moment des ?expériences?, c?est le début de ce que Robert Lafont et Christian Anatole appellent ?l?infléchissement des trobars?[5].

En effet, de Guillaume IX à Raimbaut d?Orange, on avait vu s?établir et se fixer presque tous les éléments constitutifs de la lyrique occitane, tant thématiques que formels. Se situant à ce qui semble être un tournant important dans cette lyrique, Raimbaut intervient personnellement dans le débat qui oppose les tenants du trobar clus à ceux du trobar leu.[6]

Poète difficile et conscient de la valeur et de l?excellence de son art, il ne s?en montre pas moins ironique pour autant et n?hésite pas, dans bien des cas, à relativiser sa propre pratique poétique, recourant pour ce faire aux armes de l?ironie et de la satire. Connaissant parfaitement la tradition poétique courtoise dans laquelle il se meut, il l?intègre d?une façon particulièrement dynamique dans son oeuvre, en ne se privant aucunement de l?adapter ou de la renouveler là où le besoin s?en faisait sentir. Par ses nombreuses innovations, il passe le flambeau aux autres troubadours occitans et donne une impulsion nouvelle à la lyrique occitane, loin de l?aiguiller ?vers une impasse? comme le pensait Alfred Jeanroy[7].

Du point de vue de la métrique, l?importance de Raimbaut d?Orange est en tout cas manifeste, lorsqu?on considère l?influence qu?il eut sur ses contemporains et sur ses successeurs. Dans les pages qui suivent, on en trouvera les principaux éléments, tels qu?ils furent mis en lumière par Carl Appel et Walter T. Pattison. D?autre part, cette importance se révèle tout autant à nos yeux, fût-ce de façon peut-être indirecte, lorsqu?on tente d?analyser ce qu?on pourrait appeler la ?réception matérielle? de Raimbaut. Par là nous entendons l?analyse de la transmission manuscrite de ses textes qui, à ce qu?il nous semble, nous fournit un certain nombre de données objectives quant à la notoriété dont jouissait ce troubadour; notoriété qui ressort également de ce que peut nous apprendre l?histoire littéraire à propos de ses rapports, personnels et littéraires, avec les autres troubadours.

Lorsqu?Alfred Jeanroy écrivait que Raimbaut était ?vraiment le premier de nos poètes funambules?[8], c?était sans nul doute à sa virtuosité de versificateur qu?il faisait allusion. Encore que Raimbaut ne s?y montre pas toujours aussi novateur qu?on a tendance à le penser. En fait, les travaux de Carl Appel et de Walter T. Pattison[9] tendent à indiquer qu?à cet égard son oeuvre n?est pas dénuée de traits archaïsants. Il est remarquable, par exemple, de trouver dans ses poèmes des vers de onze syllabes[10] ? tout comme chez Guillaume IX et Marcabru ? alors qu?ils n?apparaissent déjà plus chez Cercamon, Jaufre Rudel ou Bernard de Ventadour[11]. Il en va de même de la restriction de l?emploi des rimes féminines aux heptasyllabes: ?Raimbaut stimmt hierin wieder mit der Grafen von Poitou und mit Cercamon, während Marcabru zwar auch ganz Uberwiegend den weiblichen 7-Silbner benutzt, daneben aber auch den 5-, 6- und 10-Silbner weiblich gebraucht. Peire d?Alvernhe zeigt vereinzelt den 5- und 8-Silbner?[12].

Pour ce qui en est de la virtuosité de Raimbaut d?Orange, elle se manifeste surtout dans l?exploitation des techniques poétiques existantes, particulièrement par un développement général des tendances à la complexité qui, de plus en plus, influençaient le trobar. A ce propos, on notera chez Raimbaut une exploitation et une concentration extraordinaire de divers traits propres à rendre le texte plus ?difficile?: répétition de rimes dans deux ou plusieurs strophes (coblas doblas, ternas ou unissonans[13]), emploi de vers courts qui souvent peuvent être réécrits en vers plus longs avec des rimes internes[14], grand nombre de rimes différentes par strophe (et, par conséquent, un nombre plus important de rimes isolées[15]), usage fréquent de rimes féminines ou difficiles (similaires, rares, grammaticales, mots-rimes, etc.)[16].

Cela étant, il ne faudrait pas en conclure que Raimbaut d?Orange se contente de développer ou d?accumuler, fùt-ce avec talent, différentes techniques d?expression poétique. Au contraire, il ne se prive pas d?introduire à son tour un certain nombre d?innovations. Ainsi, il est le premier à combiner des vers de cinq et de sept syllabes[17], ainsi que des vers de trois et de huit syllabes[18]. Il est le premier également à se servir de ce que les ?Leys d?Amors? appellent des coblas capcaudadas et des coblas capfinidas[19]. Il est aussi le premier troubadour à exploiter cette forme particulière de l?enjambement qui consiste à séparer l?adjectif du nom qu?il qualifie: ?Die virtuose, alle Klangwirkungen des Reimes ausschöpfende Verwendung des EA/S findet sich in der romanischen Lyrik erstmalig im Werk des (…) Raimbaut d?Aurenga?[20]. Nous aurons d?ailleurs l?occasion de montrer plus loin comment Raimbaut se servit de façon toute particulière de l?enjambement (ses regl?e ses ligna) dans sa chanson II[21]. Quant à l??unrhymed refrain word? qui, chez Raimbaut, apparait soit dans chaque vers de la strophe (sauf dans le dernier, qui donne alors le mot-refrain de la strophe suivante)[22], soit à travers le poème tout entier[23],







[1] Voir Jean BOUTIERE et A.H.SCHUTZ, Biographie des troubadours, Paris, Nizet, 1973, p.441.



[2] Pour tout renseignement concernant le Raimbaut ?historique?, on se rapportera utilement à l?excellente (et sans doute définitive) biographie qu?on trouvera dans Walter T. PATTISON, The Life and Works of the Troubadour Raimbaut d?Orange, Minneapolis, The University of Minnesota Press, 1952, pp.3-30 (ci-après RO).



[3] Placé face à l?ensemble de la production des troubadours, la tentation est grande, pour le critique moderne, de tracer des lignes, de délimiter, de distinguer des ?écoles?. En cette matière, comme en tant d?autres, tout ?étiquetage? est dangereux. Pour n?en citer qu?un seul exemple, on sait aujourd?hui ce qu?il en est de la subdivision des troubadours de la première moitié du XIIe siècle en une école ?réaliste? soidisant opposée à une école ?idéaliste? (voir à ce sujet Moshe LAZAR, Amour courtois et ?fin?amor? dans la littérature du XIIe siècle, Paris, C.Klincksieck, 1964, chap. II; voir aussi François PIROT, L?idéologie des troubadours. Examen de travaux récents, dans Le Moyen Age, LXXIV (1968), pp.301-331). Aussi notre point de vue est-il bien plus modeste, et si nous nous permettons de regrouper certains poètes plutôt que d?autres, c?est uniquement en nous fondant sur la chronologie que nous le faisons. Dans ce sens, la ?première génération? comprend les troubadours étant en activité de ± 1100 à 1150. Commence ensuite la période dite ?classique? qui s?étend jusqu?à 1220-1225. Ces distinctions sont sommaires et arbitraires, sans doute, mais commodes (voir Joseph ANGLADE, Histoire sommaire de la littérature méridionale. Des origines à la fin du XVe siècle, Paris, De Boccard, 1921, pp.53-54).



[4] C?est ce que Carl APPEL, Raîmbaut von Orange, Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1928, pp.62-98 (ci-après RvO) a fort bien mis en évidence dans sa minutieuse étude de la versification de Raimbaut. Pattison, lui, parle même des ?marcabrunesque poems? de Raimbaut, faisant allusion par cela, sur tout, aux chansons I, II et IV, farcies de procédés rhétoriques et langagiers empruntés à Marcabru; voir aussi D.SCHELUDKO, Anlasslich des Liedes von Raîmbaut d?Aurenga ?Cars doux? (Zur Fragen nach dem ?trobar clus?), dans Archivum Romanicum, XXI (1937), pp.285-297.



[5] Robert LAFONT et Christian ANATOLE, Nouvelle histoire de la littérature occitane, Paris, P.U.F., 1970, t.I, pp.65sv.



[6] Remarquons que cette controverse n?est certainement pas propre à la littérature occitane. Edgar De BRUYNE, Etudes d?esthitique médiévale, Bruges, De Tempel, 1946, note à cet égard que ?L?esthétique du moyen âge est le résultat de deux tendai ces opposées, l?une caractérisée par la simplicité, la mesure la logique, l?autre par la fantaisie, l?exubérance, la liberté débridée? (t.I, p.108). Ce sont là deux attitudes dont il voit déjà l?effet dans l?esthétique antique et, parlant à ce propos d??atticisme? et d??asianisme? (ibid.), il fait remarquer qu?il y a dans cette dernière tendance ?toute une atmosphère (…) qui prépare peut-être les voies à la poésie savante et hermétique du trobar clus? (p.114).



[7] Alfred JEANROY, La poésie lyrique des troubadours, Toulouse-Paris, Privat-Didier, 1934, t.II, p.42.



[8] Ibid., p.43.



[9] RvO, pp.63-97; RO, pp.45-52.



[10] Même si Aissi mou (XVIII) présente un schéma métrique apparemment original: vers de, successivement, 3, 4 et 4 syllabes. Il n?en demeure pas moins que ceux-ci peuvent chaque fois se réduire, de trois en trois, à un hendécasyllabe à rimes internes.



[11] RvO, p.65.



[12] Ibid.



[13] Pour la définition de ces coblas, voir GUILHEM MOLINER, ?Las Flors del Gay Saber, estier dichas Las Leys d?Amors?, trad. de MM. d?AGUILAR et d?ESCOULOUBRE, revue et complétée par M. GATIEN-ARNOULT, Toulouse, J.B.Paya, 1841, t.I, pp.265-273 (ci-après Leys) et Alfred JEANROY, ouv.cité, t.II, pp.75sv. ? Les coblas sont dites doblas ou ternas lorsqu?elles sont groupées par la rime, deux par deux ou trois par trois; elles sont unissonans lorsqu?elles présentent toutes les mêmes rimes. ? Chez Raimbaut on a, en coblas doblas, les chansons IV, IX, XVIII, XXI et XXXV; en ternas, XVII et XXIX; en unissonans, les chansons I-III, V-VIII, XXVI, XIX, XX, XXII, XXIV-XXVIII, XXX-XXXII, XXXIV, XXXVII et XXXVIII. On ne trouvera chez lui qu?un seul exemple de coblas singulars (strophe à une ou deux rimes), la chanson XXXVI (qui se caractérise d?autre part par la répétition à chaque vers de malastre ou d?un de ses dérivés), alors que près de la moitié des poèmes de Guillaume IX sont en coblas singulars.



[14] Ch.IX (3+4), XIV (6+5), XVI (4+4).



[15] RO, pp.46-47; voir aussi le rimaire de Linda M.PATERSON, Troubadours and Eloquence, Oxford, At the Clarendon Press, 1975, pp.213-220 (ci-après PAT).



[16] Voir RO, pp.48-49.



[17] Voir les chansons XIV et XXI.



[18] Voir les chansons XVIII et XXII.



[19] Coblas capcaudadas: chanson XXXIII; capfinidas: chansons X et XXXV. ? Pour une définition de ces coblas, voir Leys, t.I, respectivement pp.168 et 236; 280. Voir aussi A.JEANROY, ouv.cité, p.80. ? Il s?agit en fait d?une façon particulière de relier les strophes d?un poème les unes aux autres, en répétant un élément du dernier vers de la strophe précédente dans le premier vers de la suivante. Les coblas sont dites capfinidas lorsque la syllabe (le mot, la phrase) qui termine la strophe devient le commencement de la suivante; elles sont capcaudadas lorsque la rime initiale de la strophe est la rime terminale de la strophe précédente.



[20] Jörn GRUBER, Laura und das ?trobar car?. Studien zur stilistischen Funktion des Enjambements in der provenzalischen und italienischen Lyrik von den Anfangen bis Francesco Petrarca, Hambourg, Helmut Buske Verlag, 1976, p.39. ? L?auteur décode son sigle de la façon suivante: ?E=Enjambement; A=Attributives Adjektiv; /=Versgrenze; S=Substantiv? (p.4, n.10).



[21] Voir nos ?Remarques? à 11,17.



[22] Tel est le cas dans la chanson XXXV.



[23] Voir chanson XXXVI.

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